Timber ! Les plongeurs arrivent.
En tant que plongeurs, nous savons tous à quel point l'histoire est enfouie sous la surface. Nous pouvons penser à l'histoire des épaves, des grottes, des mines ou même à l'évolution de la vie marine. Mais qu'en est-il des mystères et des trésors que recèlent les bois immergés ?
Au Canada, l'exploitation forestière fait partie de l'économie, de l'histoire et, jusqu'à il y a 30 ans, le métier de draveur était un métier hautement qualifié. Pendant près de deux siècles, les compagnies forestières ont utilisé les cours d'eau pour transporter tout le bois vers les usines en aval, jusqu'à ce que cela devienne interdit en 1996, en raison du haut niveau de pollution de cette activité. Mais pendant tout ce temps, de nombreux lacs ont été recouverts de bois au point que, parfois, on ne voyait même plus l'eau. Cela peut sembler être une histoire ancienne dont on ne se souvient qu'avec les anciens ou les photos d'archives, mais...
Ce que nous ne savons pas vraiment, c'est que parmi tous les bois qui ont voyagé à la surface des rivières et des lacs pendant près de deux siècles, au moins 15 % ont tout simplement coulé au fond de toutes les étendues d'eau qu'ils ont parcourues. Pendant des décennies, tout le bois submergé est resté là, au fond des lacs et des rivières, sans qu'on s'en soucie, jusqu'à ce que certaines personnes décident de faire quelque chose de ce bois vierge et bien préservé qui pourrait éventuellement être utilisé.
Mais attendez un peu, quelle quantité de bois, quel effet sur l'environnement, que se passera-t-il si nous enlevons les troncs et cela en vaut-il la peine, économiquement et écologiquement ? Autant de questions auxquelles il fallait répondre. Je voulais explorer pour mieux comprendre les effets de ce qui a été la principale industrie pendant tant d'années. Mais d'abord, je voulais vraiment aller sous l'eau et voir de mes yeux ce qu'il restait de l'époque extraordinaire des draveurs de bois. Je me suis donc transformée en plongeuse de bois et j'ai voyagé dans différentes régions du Québec pour voir ce qui se passait.
Tout d'abord, pour une fois, je n'aurai pas à aller en profondeur. Cela va changer ma façon de plonger. Je n'aurai pas besoin de transporter des tonnes de bail out avec mon ccr. Je n'aurais besoin que d'une seule bouteille, d'une combinaison étanche, de mon appareil photo et de quelques lampes pour me permettre d'observer les arbres qui sont couchés depuis tant d'années. Je me doutais que les sédiments seraient un défi et que des troncs pourraient être enterrés sous eux.
Comme dans la plupart des lacs, la visibilité n'est pas des meilleures. Quelques minutes après le début de ma plongée, j'étais confuse, j'ai trouvé une structure inconnue faite de poteaux de bois parfaitement verticaux et sans écorce. En regardant de plus près, aucune marque, aucun clou, aucune mortaise, rien. Je plonge vers le fond pour voir comment ce bois est attaché et quelle est son utilité. En plaçant mon visage à quelques centimètres du sédiment, je peux voir le parfait trait de scie sur le bois. Je pose ma main dessus et la pousse doucement pour voir si elle est solide. Il a commencé à bouger. C'est vrai ! Ce morceau de bois est une bille de bois ( une pitoune en Québécois) qui se tient encore droite, comme si elle n'attendait que d'être enlevée.
En plongeant de plus en plus à travers les billes, je peux voir à quel point elles sont différentes les unes des autres. Certaines sont encore debout, d'autres sont débarrassées de leur écorce ( sans doute à cause du frottement pendant leur déplacement à la surface), d'autres encore sont recouvertes de sédiments ou même de plantes et d'algues. Il était temps pour moi de parler à mes amis de l'université et de Parcs Canada.
Depuis 20 ans, un grand projet de restauration est en cours au parc national de la Mauricie. C'est l'une des zones les plus touchées par l'exploitation forestière. L'enlèvement des billes de bois au fond des lacs et sur leurs rives permet de rétablir le niveau naturel de l'eau et l'écosystème naturel. Des poissons doivent encore être réintroduits, comme l'omble de fontaine indigène qui a presque disparu. L'accumulation de sédiments et la détérioration des habitats riverains ont endommagé les aires de reproduction et d'alevinage de l'omble de fontaine. En plus de l'industrie du bois, l'implantation de clubs de pêche et la pêche intensive aux poissons-appâts ont introduit des espèces non indigènes. Ces espèces exotiques concurrencent l'omble de fontaine ou s'en nourrissent... Cette histoire ressemble un peu à ce qui se passe aujourd'hui. Mais elle s'est déroulée à partir de 1883.
Il semble que nous ne tirions pas toujours les leçons du passé.
Le nombre de structures, et plus particulièrement le barrage de dérivation, destiné à rediriger les arbres, a eu un effet sur le régime des eaux. À ce stade, des travaux archéologiques doivent être effectués avant de démanteler la structure. L'une des structures centenaires est toujours en place dans l'un des lacs et j'ai pu en faire la photogrammétrie.
Heureusement, grâce à la technologie, nous pouvons les voir bien mieux qu'avec nos yeux.
https://sketchfab.com/3d-models/underwater-dam-106f661b15c94ec4b992666a6cd4fa18
Si la restauration du lac est importante, que pouvons-nous apprendre sur les arbres eux-mêmes ? Il était temps pour moi de remonter vers le nord et de plonger pour les scientifiques de l'université UQAT.
J'ai dû reprendre la route et rouler 600 km vers le nord. Alors que je me rapprochais de l'endroit, j'ai vu le ciel devenir jaunâtre. Une couleur à laquelle nous sommes malheureusement habitués depuis le mois de juin au Canada. Je gare ma camionnette sur le bord du lac, préparant mon équipement avec le chant des huards comme musique de fond. Je dois admettre que c'est l'un des grands avantages de ces explorations dans les bois, se réveiller tôt avec le soleil et se coucher avec le chant de la nature.
Le lendemain matin, les chercheurs et les plongeurs arrivent avec leurs bateaux et leur matériel. Il est temps de documenter l'évolution des lacs et le travail des plongeurs.
Une petite équipe efficace de 4 personnes se rend chaque matin sur le lac une fois qu'il est libre de glace pour récolter le bois. Un plongeur, en combinaison, saute avec une corde qu'il va attacher sur le tronc. Au bout de la corde, un flotteur est libéré pour que le billot puisse être soulevé sur la barge de travail. Le plongeur prend la corde suivante pour le billot suivant et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ait suffisamment d'air dans sa bouteille. Plus on en fait au cours d'une seule plongée, mieux c'est. À la fin de l'été, ils espèrent pouvoir extraire plus de 4 000 billots qui seront coupés en planches, séchés puis vendus pour la fabrication de meubles haut de gamme ou la construction. La qualité des billots est supérieure à celle des arbres coupés actuellement.
Lors de mes plongées, je peux filmer l'avant et l'après de l'enlèvement des billots. J'ai été stupéfaite par l'épaisseur des sédiments et des écorces laissés au fond du lac et par le fait qu'après quelques mois, on ne voyait plus la trace des troncs, comme s'ils n'avaient jamais été là. Il n'en reste pas moins que l'impact de l'enlèvement des billots sur l'écosystème doit être étudié afin de le qualifier et de le quantifier. Dans quelle mesure les invertébrés aquatiques seront-ils affectés par l'enlèvement des débris de bois et, d'autre part, comment l'oxygénation s'améliorera-t-elle ? Pour ce projet à plusieurs niveaux, des programmes universitaires en écologie, en dendrochronologie et en écologie aquatique sont mis en place avec des partenaires de l'entreprise de récupération des billes de bois. Les arbres peuvent nous renseigner sur le passé de cette forêt ancienne unique qui n'existe plus aujourd'hui. Nous pourrons en savoir plus sur les incendies, les épidémies et la provenance des arbres et des entreprises qui les exploitent. Cela nous aidera à mieux comprendre le changement climatique et la manière dont nous pouvons protéger la forêt à l'avenir.
Travailler sur ce projet cette année revêt une signification particulière, le Canada faisant état de la pire saison d'incendies de forêt jamais enregistrée. En septembre 2023, 14 millions d'hectares de terres avaient brûlé
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Écrit par Nathalie Lasselin